L’Évangile selon saint Matthieu. Quand souffle l’Esprit…

De notre envoyé spécial au festival de Venise.

(…)…Pasolini est un homme, sincère et un poète. C’est là, sans doute, qu’Il faut chercher la raison de l’exceptionnelle réussite qui m’a ému. Quelle fut, pour l’Évangile selon saint Matthieu, l’idée qu’il exprime ? Prendre le contre-coup de toutes les idées reprises au cinéma en matière d’évocation religieuse.
Et, d’abord, refus systématique de toute vedette pour l’interprétation.
C’est la propre mère de Pasolini qui incarne la Sainte Vierge
. Elle le fait avec une sincérité, une émotion proprement sublime. Dans la distribution on trouve aussi des amis du cinéaste : romanciers, journalistes, poètes.
Le fils de Pasolini, un étudiant catalan, surprend d’abord tant son physique de brun aux yeux noirs et le voile qui couvre constamment la tête sont opposés à l’imagerie traditionnelle ; tant aussi, son air sombre et son regard de braise semblent jurer avec la bonté du Christ.
Mais que paraisse un entant, et le sourire sur le visage de l’interprète, devient un reflet vivant de l’amour de Dieu.

Autre soucis majeur de Pasolini : un maximum de réalisme. Les scènes de Nazareth furent tournées dans un village de Lucanie, qui garde les stigmates d’un terrible séisme. Si l’on ne se savait pas en Italie, on se croirait revenu vingt siècles en arrière au pays du Christ.

Maintenant et toujours

Mais, bien sûr, l’essentiel reste à louer : l’adaptation du texte évangélique de son illustration. Il n’était pas question de relever tous les épisodes des Évangiles. Mais ceux qui furent choisis rendent bien compte de l’idée maitresse du cinéaste : montrer l’actualité du message.

Au plan de la composition des images, j’ai été bouleversé jusqu’aux larmes par Ia toute première scène, muette. Joseph se rend compte que Marie attend un enfant. C’est une merveille de tact et de délicatesse. Par la suite, Pasolini utilise en abondance des gros plans sur les visages (je pense souvent à la Passion de Jeanne-d ‘Arc, de Dreyer) et « son parti pris » qui nous vaut une galerie de portraits véritablement Inoubliables. Enfin, pour les ensembles, le massacre des Innocents, ce chemin de croix et Ia mise au tombeau sont des tableaux dont on chercherait en vain l’équivalent en peinture.

Il y a tout de même, dans ce chef d’œuvre (oui, il faut maintenir le mot), quelques autres points. Mais plutôt de surprise moins heureuse. Le long discours public sur les scribes, les pharisiens hypocrites (texte intégralement repris de saint Matthieu, comme tout le texte biblique) est orchestré fidèlement, de telle sorte qu’on se croirait parfois à un discours révolutionnaire. C’était, je crois bien, les seules minutes où transparait le « marxisme » de Pasolini. Et, bien sûr, la substance de ce discours estompe cette fâcheuse impression.

J’ignore tout à fait comment les autorités catholiques accueilleront ce film dédié « à la douce mémoire du pape Jean ». Je pense qu’elles redouteront peut-être quelque exploitation, par le parti de feu Togliatti, d’un éventuel « imprimatur ». Et même, je demeure incertain quant à l’accueil du grand public : ne sera-t-il pas trop dépaysé ? Mais je crois fermement que si nous, chrétiens, n’aidons pas à l’exacte compréhension et au succès d’un tel film, nous laissons passer une occasion apostolique.

Après tout, les voies de la providence sont impénétrables et l’Esprit souffle où il veut. Est-ce trop s’avancer que de conclure : le film de Pasolini, même né dans une conscience marxiste, est un instrument apologétique, digne de servir à l’extension du royaume de Dieu ?